Lors de la cérémonie de remise du rapport sur les Assises de la Justice hier, le Président Faye a annoncé que certaines recommandations seraient appliquées à la suite d’un consensus fort, notamment la réforme du Conseil supérieur de la Magistrature.
Par D. KANE – Le Rapport général sur les Assises de la Justice, tenues du 28 mai au 4 juin 2024, ont été remis hier au Président Faye. Il y a un point noir qui a été relevé dans le document : la perception que le commun des sénégalais a de la Justice est souvent très négative. «Ce sentiment est largement ressorti des contributions faites sur la plateforme Jubbanti. 75% des contributeurs déclarent n’avoir pas ou peu confiance en la Justice sénégalaise. Ce manque de confiance est lié à un sentiment d’inefficience dans la délivrance de services et à l’existence des pratiques de corruption qui entravent l’accès équitable au service public de la Justice.»
A la table des discussions, les mêmes sentiments étaient les mieux partagés. Et pour les participants, les conclusions sont sans appel : «La Justice sénégalaise est une justice inefficace, répressive et instrumentalisée. Elle fonctionne à plusieurs vitesses et favorise les élites au détriment des citoyens ordinaires : elle souffre du vice de partialité communément appelé «Kumba am ndey, kumba amul ndey» (deux poids et deux mesures). La Justice qui, théoriquement, est rendue au nom de ses usagers, n’est, en dernière instance, que la «chose» d’oligarques locaux (détenteurs de pouvoirs politiques, lobbys maraboutiques, confrériques, puissances d’argent…) et de puissances étrangères. Et c’est ce qui explique le sentiment de crainte, de méfiance et même de défiance des citoyens vis-à-vis de la Justice, qui privilégient, dès lors, la technique de l’évitement chaque fois que cela est possible.» Il y a aussi une impression de décalage entre la Justice et les réalités religieuses et sociétales. «La Justice ne prendrait pas suffisamment en compte la culture et la religion dans les procédures de divorce et de succession notamment. Or, il s’agit là de rien moins que d’une reconnaissance du fait que nous entrons tous en humanité à travers des cultures et des traditions différentes. Le recours au Cadi pour régler les problèmes matrimoniaux et successoraux, en plus de décongestionner le prétoire, participerait, selon des participants, d’une prise de conscience de l’importance des valeurs religieuses et sociales dans la recherche des solutions aux problèmes des citoyens», relève le rapport.
Lors de la cérémonie, Pr Babacar Guèye ne cache pas sa joie : «L’exercice n’a pas été simple. Il fallait simples et digestes les données. La tenue est la manifestation éloquente de l’importance que vous réservez à la Justice, un des piliers essentiels de la démocratie et de l’Etat de Droit. Nous sommes persuadés que vous engagez, au nom du Peuple, les actions qu’il faut en vue d’atteindre les résultats concrets et éloquents pour le triomphe de la primauté du Droit. Les Assises ont été un moment de remise en cause de notre Justice, une radioscopie de ce pouvoir qui est au cœur d’un Etat moderne.» Il insiste sur les réformes du Code pénal, Code de procédure pénale et Code de la famille pour une Justice adaptée à l’ère moderne.
Diomaye : «Nous devons nous garder de tout messianisme à l’égard de nos institutions»
Dans un discours sans langue de bois, le Président Diomaye livre son verdict : «L’idéal de Justice ne saurait être une œuvre achevée. La Justice doit toujours être arrimée à l’évolution du temps. Elle doit être questionnée, critiquée, renouvelée et refondée. Nous devons nous garder de tout messianisme à l’égard de nos institutions qui, pour qu’elles correspondent aux exigences de l’Etat de Droit, doivent être toujours soumises à la raison critique et l’assentiment permanent du Peuple souverain.» Il poursuit : «Un Etat de Droit ne se résume à l’existence d’institutions. L’Etat de Droit exige un renouvellement, une refondation et une réforme systémiques lorsque ses institutions, à l’image de notre Justice, souffrent de maux qui en affectent la crédibilité. Sous ce rapport et en considération de notre passé récent marqué par des attentes à l’Etat de Droit, notre pays doit se doter d’institutions qui soient à la fois justes, légitimes, robustes et fonctionnelles. Ces conditions sont la garantie de l’efficacité, de la stabilité, mais surtout de l’indépendance de la Justice.»
Il y a des recommandations essentielles sur lesquelles il s’est par contre gardé de s’engager. «L’exigence de réforme et de modernisation est largement mise en exergue dans vos travaux. Cela correspond à notre volonté de l’adapter à notre cadre juridique en corrigeant ses imperfections et lacunes. A ce titre, les réformes sur le Conseil supérieur de la Magistrature, l’ouverture des professions libérales, la mise en norme des liens de détention, l’africanisation des symboles de la Justice, l’encadrement des pratiques illégales comme le retour de Parquet, la refonte du Code pénal et du Code de procédure pénale afin d’en extraire les dispositions abusives et arbitraires seront au cœur de mes préoccupations. Entendez par là que tout ce qui fera l’objet d’un large consensus sera strictement appliqué», enchaîne le Président Faye. Il annonce, comme le recommandent les Assises, la création de nouvelles institutions : la Haute autorité de la Justice, la Cour constitutionnelle, et l’instauration d’un juge des détentions. «L’heure de la transformation systémique de notre Justice a sonné», tonne-t-il.
Il faut savoir que lors des Assises dont le Pr Babacar Guèye est le facilitateur et Ndongo Fall le rapporteur, il a été instauré trois instances de réflexion : une commission «Réforme» présidée par le professeur de Droit Isaac Yankhoba Ndiaye, une commission «Modernisation» drivée par Mme Dior Fall Sow et une Commission scientifique avec comme président M. Amady Ba.